Le « terrain vague » correspond au déclin de la banlieue agricole et maraîchère de la première moitié du 20ème siècle, laissant çà et là d'anciennes parcelles inexploitées que les pavillons finissent par dévorer quelques décennies plus tard. La « friche » quant à elle, est directement issue du choc pétrolier de 1974 qui a sonné le glas de bon nombre de ressources industrielles françaises. Les industries textile et sidérurgique du Nord de la France s'en trouvèrent par exemple profondément bouleversées. Les premières friches étaient nées, défigurant le paysage et rappelant par leur présence la crise économique et sociale que le choc pétrolier avait engendrée. D'autres espaces sont venus grossir le rang de cette première vague: les friches militaires, portuaires, ferroviaires, mais aussi les « terrains en attente », les « dents creuses » pour dessiner des espaces issus d'un urbanisme de la décroissance, phénomène creusé dans le sillon du choc pétrolier et de ses effets. Les réflexes de l'aménagement sont également consommateurs de foncier « neuf » et peinent à cette période à réutiliser des espaces tombés dans l'obsolescence. On admet depuis deux décennies que l'aménagement en général génère 10% de sa surface en espace délaissé[1] comme une sorte de part entropique obligée de notre monde contemporain.
Tous ces espaces (et en dépit des raisons qui vont les générer) seront d'une certaine manière mis au ban de la ville parce qu'indéfinis, non contrôlés, sombres parfois, sauvages souvent. A la marge du modèle urbain majoritaire, l'ancien terrain vague et l'actuel délaissé : le dessous de pont, le bas-côté autoroutier, la parcelle qui n'a jamais trouvé preneur au fond de la ZAC, etc seront autant réprimés et coupés de notre vue par des clôtures étanches qu'ouverts à qui souhaite trouver une faille et s'y faufiler discrètement. S'ils sont les déchets de l'aménagement public pour certains, ils vont être une ressource pour d'autres, une alternative, un lieu où « c'est possible ». Nomades, populations marginalisées pour leur identité sexuelle ou leur manière de vivre, sans abris, mais aussi urbains en mal de jardinage, exclus politiques, contestataires sont autant de cas qui trouveront asile dans l'histoire des espaces urbains abandonnés.
Notre proposition portera en premier lieu sur un bilan général des friches spatial des friches et en second lieu sur les occupations marginales qu'elles ont pu abriter, les faisant apparaître comme une sorte d'inconscient de la ville. Là où régnerait un désordre fécond que le reste de la ville ne tolèrerait pas. Aux pratiques illicites urbaines correspondent des espaces marginaux dans lesquels tout peut advenir et sans célébrer l'urbanisme décroissant et la période que l'on traverse, il faut tout de même souligner le rôle libérateur des friches au regard de l'espace normé.
[1] Paris Romain, « La valeur du vide », La forêt des délaissés, Paris, IFA, pp. 19-29.
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