Rapports au lieu et au vivant sur une friche parisienne
Julie Scapino  1@  
1 : Laboratoire d'Eco-anthropologie
Musée National d'Histoire Naturelle - MNHN (France)

Le chemin de fer de « petite ceinture » court le long du pourtour parisien. Inutilisé sur la majeure partie de son parcours depuis plusieurs décennies, il a été colonisé par la flore et la faune, mais aussi par de nombreux habitants, qui fréquentent la voie malgré l'interdiction d'accès. Les rapports au lieu et à la nature de ces utilisateurs informels ont fait l'objet d'une enquête ethnologique en 2014 (Scapino 2016). Dans cette communication, qui s'inscrit dans les axes 1 et 2 du colloque, nous proposons de présenter les pratiques et les représentations dont fait l'objet la friche, et de questionner la place de la nature dans ce système : comment la petite ceinture fait-elle sens pour ses usagers et que viennent-ils faire ici ? Les rapports au lieu passent-ils par la nature et, si oui, est-elle pensée comme biodiversité ?

L'enquête révèle que le lieu est pensé avant tout comme autre, comme hors de la ville, parce que régi par des règles différentes des autres espaces urbains. C'est un lieu où tout n'est pas prévu d'avance, où il existe une place pour l'inattendu. La sociabilité y est plus souple que dans les espaces publics et, surtout, la surveillance y est plus lâche.

Les activités dominantes sont classiques : la majorité vient se promener, prendre des photos, pique-niquer... Mais on observe aussi des pratiques plus étonnantes, spectaculaires ou discrètes, qui contiennent une part d'inventivité. La petite ceinture apparaît comme un vaste terrain d'aventure et d'expérimentation, un lieu de défoulement. Mais alors que la plupart jouissent de l'écart, d'autres le subissent. Les rails sont aussi un refuge pour des personnes en situation de précarité.

Si elle n'est pas première dans ce que les personnes viennent chercher ici, la nature, en réalité le végétal, se révèle comme une composante centrale de l'identité du lieu. La diversité des espèces est parfois connue grâce aux médias, mais le plus souvent les promeneurs la suppose par la simple observation. Le discours écologique reste cependant marginal. La nature spontanée est avant tout le reflet de la liberté que les utilisateurs expérimentent ici. Ils valorisent son caractère sauvage et « ordinaire », en comparaison à la végétation des parcs et jardins qu'ils jugent stricte et ordonnée.

La petite ceinture constitue donc bel et bien un espace « vert », mais elle est aussi bien plus. Elle offre une expérience particulière, elle est une respiration sociale, une « soupape » (Dorso 2012). Elle constitue une grande cachette, pour des pratiques et des personnes (mais aussi des espèces) qui n'ont d'autres lieux pour exister dans la ville.

Références

Dorso F. 2012. « Pour une sociologie de l'écart. Affiliation et différenciation dans les processus de socialisation et d'urbanisation », Nouvelles perspectives en sciences sociales, vol. 8, n° 1, p. 35-59.

Scapino J. 2016. « De la friche urbaine à la biodiversité. Ethnologie d'une reconquête (la petite ceinture de Paris) », Thèse de doctorat, Paris, Muséum national d'histoire naturelle, 505 p.



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