L'intérêt croissant des travaux de recherche pour les friches urbaines répond à un même phénomène observable dans les opérations d'urbanisme contemporain et dans la communication qui leur est associée. Les « friches », « délaissés », « dents creuses » et autres « espaces sans usage » sont l'objet d'une attention qui entend à la fois documenter les pratiques qui s'y développent et valoriser leur utilisation dans la conception des villes. Si une définition générale des friches reste à établir, il semble que les lieux désignés ainsi cumulent trois traits communs : le caractère informel des usages et des pratiques qui y prennent place, leur limitation dans le temps et leur situation géographique au sein du tissu urbain.
Une autre caractéristique me semble centrale et constitue l'objet de cette proposition de communication : l'évolution de ces espaces vers une forme d'institutionnalisation faisant se rencontrer les notions de nature et de culture. En effet, un même processus est observable à propos des différents types de friches urbaines, bâties ou non : les squats sont remplacés par des tiers-lieux institutionnalisés, les dents creuses végétales se voient normalisées par l'action des conseils de quartier, se ferment à la circulation et à l'appropriation de certaines catégories de riverains... L'apparition de nouveaux opérateurs urbains, spécialisés dans l'urbanisme transitoire, révèlent l'importance de cette tendance à l'institutionnalisation des friches.
Qu'elles soient bâties ou non, on y observe l'application des mêmes codes sociaux, esthétiques et symboliques (mobilier désassorti bricolé, références à la contre-culture...) et des mêmes pratiques (jardinage partagé, compost, expositions artistiques, repas collectifs...). L'analyse de ces récurrences, bien qu'elles se distribuent différemment selon les projets, témoigne d'une forte homogénéité de représentations centrées autour des pôles de nature et de culture, correspondant à un style de vie et à un segment du public urbain.
A partir de ces constats, l'enjeu de cette communication est de proposer une définition critique de la catégorie de friche urbaine. Qu'est-ce qui est distingué (au sens bourdieusien) comme friche ? Qu'est-ce qui ne l'est pas ? Quelles sont les implications d'une telle distinction ? Que révèle-t-elle des rapports sociaux entre citadin.e.s ? Afin de tenter de répondre à ces questions, cette proposition se base sur des travaux menés dans la continuité de ma thèse consacrée aux membres des jardins partagés parisiens. Mobilisant une approche entre sociologie urbaine, sociologie des groupes sociaux et géographie culturelle, elle a pour terrain la ville de Paris et questionne, par le prisme des friches, l'engouement actuel pour l'urbanisme transitoire.