Résumés des communications et posters > Par auteur > Delbaere Denis

L'in(ter)discipline des talus / une épistémologie en friche à Likoto
Denis Delbaere  1@  
1 : Laboratoire Conception Territoire Histoire  (LaCTH)  -  Site web
Ministère de la Culture et de la Communication
2 rue Verte 59 650 Villeneuve d'Ascq -  France

L'appel à communication du colloque juxtapose trois thématiques (l'environnementale, la sociale, l'urbanistique) en grande partie inaptes à décrire les objets complexes que sont les friches urbaines. Leur étude devrait dépasser ces cloisonnements disciplinaires et les postulats anthropologiques qu'ils présupposent (la distinction entre nature et culture, entre espace réel et espace projeté).

 

Les recherches En marge (PIRVE, 2015) et En piste (ITTECOP 2018) mènent une investigation méthodologique sur les 650 km d'accotements des grandes infrastructures de transport de l'eurométropole Lille/Kortrijk/Tournai (LIKOTO), et ont associé depuis 2010 une vingtaine de chercheurs issus de groupes disciplinaires différents (écologues, botanistes, pédologues, zoologues et ornithologue, géographes culturalistes et quantitativistes, paysagistes et urbanistes, photographes et plasticiens). Cette extrême multidisciplinarité est induite par la complexité de ces milieux, à la fois très anthropiques et largement exposés aux dynamiques biologiques, situés aux marges des villes et pourtant investis par de nombreuses pratiques sociales, masqués par le blanc des cartes et pourtant chargés d'une importante valeur émotionnelle et culturelle.

Les chercheurs ont d'abord tenté de mobiliser leurs méthodes habituelles mais se sont heurtés à des difficultés structurelles, liées à la continuité théoriquement infinie des accotements, à l'instabilité de leurs contenus sous les effets de modes de gestion erratiques, ou encore à la dispersion des pratiques sociales qui s'y observent. Peu à peu, chacun-e a du relativiser certaines notions centrales de sa propre discipline, comme celle de sol pour les pédologues, de milieux pour les écologues, de lieux pour les anthropologues, de structure pour les paysagistes. Chacun a ensuite tenté d'inventer des modes opératoires plus adaptés – « diagnostic flash » du naturaliste, « base de donnée des visibilités » pour les géographes, « carte mentale » pour les paysagistes, « relevé narratif d'indices » pour l'anthropologue, « affuts » pour les artistes. Sur la base de ces expérimentations, des croisements ont pu s'opérer entre des chercheurs issus de domaines différents mais partageant désormais et provisoirement des modes opératoires comparables. Des groupes de « marcheurs », de « stationneurs », de « dériveurs » se sont constitués, et des complicités se sont nouées par le simple fait d'une pratique conviviale de l'espace. Il est important de noter que celle-ci surdétermine le continuum des talus et des pistes qui les suivent en tant qu'objets : le fait de fréquenter des lieux en groupe, d'y ouvrir un passage, d'en modifier ainsi l'écologie et les usages, transforme et construit l'objet d'étude. Le type de recherche qui s'invente ici est créatif pour pouvoir être descriptif, il ne peut s'objectiver que par le biais d'un récit qui l'imagine au moins autant qu'il l'analyse.

 

Ce type d'expérience réalise une convergence fondée sur un principe d'indiscipline généralisé. Les objets mêmes qu'une telle science relève sont intensément hybrides. Les pistes que nous relevons sont-elles le fait d'animaux ou d'humains ? Se demander si elles relèvent d'un fait naturel ou culturel n'a plus vraiment de sens ici, en cela que le type de pratiques sociales humaines qui produirait ce genre d'objets semble motivé par des besoins sans doute très identiques de ceux qui conduisent un animal à chercher son gîte, son passage, sa proie. On entre alors de plein pied dans cette « anthropologie par delà nature et culture » sans laquelle il est à craindre que les richesses offertes par les friches urbaines nous échapperont. 


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